"La lionne rouge" : le nom de ce pub t'allait si mal… Animale : pas féline en tout cas. Rouge-gorge peut-être. Rouge, le tee-shirt qui te collait au corps. Rouge, l'éclat rubis de tes lèvres articulant ces chansons anglo-saxonnes. Ivre, le bateau qui nous emportait ce soir, toi et moi, la sirène enchanteresse et le marin perdu. Ces chansons pop déclamées comme des chants de marins, oui, des chansons à boire, boire tes paroles, te boire… Ta voix comme la balise d'entrée du port : un signal, un point sur l'horizon bleu nuit dans la nuit fraîche.

J'observe les regards qui te fixent. Il y a ceux qui ne te voient pas, noyés qu'ils sont dans l'alcool, au fond de l'océan, au fond. Ceux qui te déshabillent, par désespoir ou par réflexe plus que par envie. Ceux, pincés, des rares femmes présentes, jalouses et va savoir pourquoi. Et puis il y a le mien de regard, que tu croises parfois. Mon regard émerveillé, touché par cette fausse candeur. Amoureux déjà. Amoureux encore. Amoureux dans ce que tu touches en moi avec tes ballades irlandaises incantatoires, envoûtantes. Toi la rebelle, toi la sage. Ta voix assurée, juste, tellement juste, tellement « vraie » ; aérienne, comme au-dessus de la mêlée, au-dessus du désastre…Et puis tes yeux, parfois mi-clos, cherchant les mots tellement ailleurs… Comme je t'y suivrai dans ces contrées lointaines où tu puises ton souffle...

Tant nous sépare et ce n'est pas un océan pourtant. Pas la mer à boire, non pas la mer… Alcools longs. Ta voix encore comme la jonglerie d'un saltimbanque ondulant sur le bord de ses rêves, dansant du bout des doigts sur le manche de sa noire guitare. Noire comme le fond des mers quand on s'y perd. Pas le grand bleu, le grand noir. Et au milieu, toi, reine sans fard d'un autre continent,  l'invitation au voyage. Ton visage étonnamment pur, étonnamment vierge, comme épargné… Une auréole. Que fais-tu là, Amour, ta place est-elle ici en enfer ? Es-tu l'ange envoyé du Ciel pour en sauver quelques-uns ? Ici c'est la mer dans ce qu'elle a de plus sombre : des solitudes, des détresses, des regrets… Et ton visage au-dessus de tout ça, comme un clair de lune sur l'océan. Tu fais le show, tu travailles et rien de ce qui se passe ne t'agresse. Tu es là qui « donne » un peu de rêve et de bonheur à chacun. Sœur Marie-je-ne-sais-quoi, au milieu de nulle part.


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Pierre Juste, "Le bois joli"
oeuvre déposée
http://pierre.juste.free.fr