L'amour comme remède à l'amour. L'amour de soi comme soin palliatif à l'amour de l'autre. L'Amour avec un grand « a », cette soupe épaisse faite d'ingrédients incompatibles qui sont l'amour qu'on a pour les autres, l'amour que les autres nous portent, et l'amour de soi.
Cette soupe à la grimace dans laquelle nous nous débattons se devrait d'être un équilibre harmonieux. Ces trois relations amoureuses qui supportent chacune de nos journées, les allers-retours incessants entre soi et les autres, triangle de nos Bermudes intérieures au centre impalpable. Ce point d'équilibre existe-t-il, celui où les forces s'annuleraient, où « je t'aime, tu m'aimes, je m'aime » s'effaceraient dans un grand silence ? Bien souvent nous ne sommes que dans l'impatiente attente que quelqu'un veuille bien, lui, nous aimer ; un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Ce que nous croyons être un sentiment amoureux que nous portons à quelqu'un et qui n'est en fait que cette plainte désespérée adressée à voix basse : je t'en supplie, aimes-moi !
Désillusion. « Je t'aime et ça ne tient pas la route. Je t'aime et ça ne suffit pas. Je t'aime et ça ne m'apporte en fin de compte aucun bonheur … » Depuis le début nous ne voulons qu'une chose : que quelqu'un nous montre que nous existons, que nous en vallons la peine, que quelqu'un croit en nous… « Maintenant tu ne m'aimes plus et j'en souffre infiniment… Et ça je ne te le pardonne pas : moi non plus je ne t'aime plus… ». Le désamour qui est toujours au rendez-vous, tôt ou tard, invariablement.
Un besoin éternel d'être aimé. Pas la mémoire d'un père ou d'une mère désormais absent dont on voudrait remplacer l'affection protectrice, non. Plutôt l'absence de soi à soi-même, comme une entaille profonde dans le cœur. L'oubli de soi au point d'être incapable d'avoir une profonde estime de soi dans ce Monde, cette Vie, qui ne serait pas de la fierté mais juste une paix intérieure, entre notre part d'ombre et notre part de lumière.
L'Amour avec un grand « a » que nous cherchons tout au long de notre vie, auprès d'hommes ou de femmes, de Dieu quelque fois, n'est pas ailleurs qu'à ce carrefour. A la rencontre de ces forces invisibles qui nous attirent à la périphérie de notre être, vers un homme, une femme, avec qui nous voudrions trouver l'extase et la reconnaissance. Notre sensibilité à vif tournée vers cet extérieur, la vie, nous pousse tous les jours dans des bras étrangers, auxquels nous résistons ou cédons, dans les pièges les plus bêtes que sont la beauté, le désir, le pouvoir. Nous sommes comme aspirés, irrésistiblement attirés. Nous cherchons malgré nous toutes les opportunités de nous raccrocher à « l'autre », tombant amoureux jusqu'à trop souvent, ébloui par un regard, un sourire, un corps ou l'attention qui nous a été portée…
« Je t'aime » n'a jamais rien voulu dire d'autre qu' « aimes-moi ». C'est ainsi. C'est aussi décevant que ça. Et les appels au secours que nous lançons tout au long de notre vie sous forme de ces « je t'aime » ne trouvent pour écho que le profond désert intérieur de cet amour-propre qui nous fait défaut. Croire envers et contre tout à cet échappatoire, comme une fuite en avant, est sans espoir : ces femmes ou ces hommes qui ne nous aimerons pas, ou si peu de temps finalement, ne demandaient eux-mêmes pas autre chose ; que nous soyons dans l'amour inconditionnel de leur personne, réconfortant leur égo, réchauffant leur cœur. Ce que nous avions cru être des rencontres magiques et romantiques n'étaient que des confrontations de désarrois, des entrechoquements de besoins. Dialogues de sourds de ceux qui réciproquement attendent tout de l'autre, incapables eux-mêmes de donner quoi que ce soit. Sourds, aveugles et aphones du cœur.
Nous voilà désenchantés. La clairvoyance s'est faite sur le sentiment amoureux, dont il ne reste rien, ou si peu, juste cette part d'adolescence rêveuse qui voudrait encore croire au vrai premier baiser… L'amour n'est pas. Pas chez l'autre en tout cas. Et nous voilà seul avec ça. Seul avec soi, soi sur les bras. L'amour uniquement à l'extérieur de nous est sans espoir. Ces sentiments-là ne peuvent trouver un accomplissement heureux que s'ils sont dans le don, pas dans le racket. Et pour être dans le don, il faut avoir trouvé son trésor intérieur, une harmonie personnelle qui ne soit pas faite de compromis et de faux-semblants, sa richesse propre : le juste amour de soi.
« Tu es amour, tout comme moi. Rencontrons-nous ».
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Pierre Juste, "Le bois joli"
oeuvre déposée
http://pierre.juste.free.fr